En 2025, Grenoble célèbre une double renaissance. Celle du parc Paul Mistral, poumon vert de la ville et celui de la Tour Perret, chef d’œuvre visionnaire de l’architecture moderniste. Erigée à l’occasion de l’Exposition internationale de la Houille Blanche et du Tourisme de 1925, la tour mythique s’apprête à retrouver son éclat d’antan, après plus de soixante ans de silence. Sa restauration en cours ne se limite pas à une réhabilitation patrimoniale : elle s’affirme comme un manifeste culturel et politique, à la croisée de la mémoire industrielle et des transitions.
Une pionnière de béton et d’avant-garde
Symbole de l’audace constructive du XXe siècle, la Tour Perret fut, en son temps, une prouesse technique : plus haute tour européenne en béton armé, culminant à 95 mètres, elle fut imaginée par Auguste Perret, figure majeure du mouvement moderniste. Véritable phare dressé au cœur du parc Paul Mistral, elle incarne l’utopie du progrès portée par l’Exposition de 1925, qui fit de Grenoble une vitrine de la modernité technologique et énergétique.
Quand elle fut classée monument historique en 1998, la tour avait sombré dans l’oubli, condamnée à la fermeture pour raisons de sécurité depuis 1960. Pourtant, elle n’a jamais cessé d’habiter l’imaginaire collectif grenoblois. La restauration entreprise depuis 2016 marque une reconquête sensible et politique : il s’agit de rendre à la population un repère urbain, bien avant que les fameuses bulles de la Bastille ne dominent le paysage.
Une restauration à l’image d’un projet de société
Le chantier de restauration, d’une ampleur inédite pour Grenoble, mobilise des expertises rares, notamment celles de l’entreprise Freyssinet, spécialisée dans les structures complexes en béton armé. Avec un budget de 15 millions d’euros — dont 5 millions financés par l’État et 3 par le Département de l’Isère — le projet allie exigence patrimoniale, sobriété environnementale et innovation technique. Même les ascenseurs d’époque, joyaux de la future visite, sont restaurés avec minutie pour un voyage dans le temps en 1925.
Mais au-delà de l’aspect technique, le projet Tour Perret incarne une certaine manière de faire patrimoine : coopérative, inclusive, citoyenne. Une campagne de financement participatif via la Fondation du Patrimoine a rassemblé plus de 150 000 euros, épaulée par le mécénat d’acteurs économiques régionaux. Ce maillage entre institutions, habitant-es, entreprises et associations témoigne d’un attachement profond, transversal, intergénérationnel.
Une réinvention du patrimoine comme bien commun pour demain
La réouverture de la Tour Perret est désormais prévue pour le premier semestre 2026. Si le calendrier a quelque peu glissé, c’est au nom d’un principe simple : ne pas céder à la précipitation et garantir une restauration d’excellence. Ce choix illustre la volonté municipale d’inscrire le projet dans une temporalité durable, respectueuse de l’œuvre d’origine, mais aussi des usages contemporains, en termes d’accessibilité, de sobriété et d’expérience visiteur.
D’autant que la phase de travaux n’empêche pas la réaoppriation du lieu par les citoyen-nes. Depuis 2018, la Ville de Grenoble et ses nombreux partenaires déploient une ambitieuse programmation culturelle et pédagogique. À l’occasion du centenaire de l’Exposition, le 21 mai 1925, une turbine Pelton a été installée dans le parc Paul Mistral, rappelant l’histoire fondatrice de la Houille Blanche et la place centrale de l’hydroélectricité dans l’identité grenobloise. Expositions, spectacles contés, chantier éducatif sur le thème de l’énergie, déployés avec l’association Hydro 21, GEG, Grenoble INP, l’Education nationale et le CAUE : la médiation autour de la Tour devient un vecteur d’émancipation et de transmission.
La renaissance de la Tour Perret réaffirme un credo fondamental : le patrimoine n’est pas un luxe, mais un bien commun. Elle prolonge les idéaux portés par Paul Mistral, maire de Grenoble de 1919 à 1932, fervent défenseur du progrès social et de la démocratisation de la culture. En s’inscrivant dans une stratégie globale de revalorisation du centre-ville et du parc Paul Mistral, la tour devient levier de rayonnement touristique, moteur de fierté territoriale et catalyseur de nouveaux imaginaires urbains.
Une vigie pour un nouveau siècle
Dans une ville qui, après avoir été Capitale verte européenne, continue d’explorer les voies de la transition, la Tour Perret s’impose comme un symbole renouvelé. Un monument qui parle à la fois d’hier et de demain, d’architecture et de sobriété, d’ingénierie et de culture. À l’horizon 2026, les premiers visiteur-euses qui grimperont à nouveau ses hauteurs ne redécouvriront pas seulement un panorama spectaculaire sur les Alpes. Ils renoueront avec une histoire collective, vibrante et engagée. Celle d’une ville qui croit en son héritage, en ses habitant-es, et en sa capacité à écrire l’avenir à hauteur d’horizon.